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Communiqué de presse de l'ONU
mercredi, 26. janvier 2022

17-26 janvier 2022

Genève, 26 janvier 2022

  1. Le Groupe de travail d’experts de l’ONU sur les personnes d’ascendance africaine remercie le gouvernement suisse de l’avoir invité à visiter le pays et de sa coopération. Nous remercions le Département fédéral des Affaires étrangères d’avoir organisé la visite.

  2. Les opinions exprimées dans cette déclaration sont de nature préliminaire. Notre rapport final sera présenté devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en septembre 2022.

  3. Lors de la visite, le Groupe de travail a évalué la situation relative aux droits humains des personnes d’ascendance africaine en Suisse, et recueilli des informations sur les formes de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance auxquelles elles sont confrontées. Le Groupe de travail a étudié les mesures et les mécanismes visant à prévenir la discrimination raciale systématique et à protéger les victimes du racisme, ainsi que les réponses apportées aux multiples formes de discrimination.

  4. Dans le cadre de sa mission d’établissement des faits, le Groupe de travail a visité Berne, Zurich, Lausanne et Genève. Il s’est entretenu avec des représentants hauts-placés du gouvernement fédéral et des cantons suisses, des parlementaires du Conseil des États, des représentants de la Commission fédérale contre le racisme, de la Commission nationalepour la prévention de la torture, de l’Office fédéral de la statistique, entre autres, et avec les services de répression aux niveaux fédéral, cantonal et municipal. Il a également rencontré des hommes et femmes politiques d’ascendance africaine au niveau municipal à Genève. Il a aussi visité l’établissement correctionnel de Pöschwies et le Centre de la Blécherette-police cantonale à Lausanne.

  5. Le Groupe de travail a également rencontré des représentants de la société civile d’ascendance africaine. Nous remercions la société civile, les défenseurs des droits humains, les juristes, les universitaires et les Africains et personnes d’ascendance africaine dans les différents cantons, notamment les familles des communautés et des personnes touchées qui ont partagé leurs témoignages. Nous nous félicitons des efforts qu’ils déploient pour promouvoir et protéger les droits des personnes d’ascendance africaine en Suisse.

  6. Le Groupe de travail salue les bonnes pratiques et mesures mises en œuvre pour garantir le respect des droits humains des personnes d’ascendance africaine en Suisse , notamment : a. Les mesures prises pour établir une institution nationale opérationnelle chargée des droits humains. b. La reconnaissance parla Suisse de la déclaration et du programme d’action de Durban (2001) en tant que cadre complet et socle solide pour le combat contre le racisme. c. Le lancement de la Décennie internationale des peuples d’ascendance africaine à Zurich en 2020. d. Le projet de création d’un groupe de travail chargé de mettre en œuvre les recommandations de décembre 2021 du Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. e. Les poursuites engagées contre les personnes –notamment du monde politique – responsables d’incitation à la haine raciale dans l’espace public ou au sein des services publics. f. Les projets de la société civile conçus par des personnes d’ascendance africaine et financés qui complètent les programmes d’intégration cantonaux et visent à encourager la communauté hôte à faire des efforts d’intégration. À titre d’exemple, le projet Farafina dans le Vaud, la course contre le racisme à Zurich, etla semaine contre le racisme dans plusieurs cantons et villes. g. Un débat public émergeantimpliquant l’État et la société civile sur la présence de symboles racistes et/ou coloniaux dans l’espace public. h. L’accent particuliermis parla ville et le canton de Genève sur le racisme anti-noirs en tant que forme particulière de violation des droits humains. Le parlement de la ville de Genèveapprouvé une ligne budgétaire pour combattre le racisme anti-noirs et deux lignes budgétaires supplémentaires pour l’Université populaire africaine (UPAF) et le festival Couleur Café. LaCommission des droits de l’homme du canton de Genève peutmener des recherches et ouvrir des enquêtes sur n’importe quel sujet. Le Centre Écoute contre le racisme, sous l’égide du Bureau pour l’intégration des étrangers (BIE), constitue un espace de dialogue, de soutien et de conseils. i. Les consultations organisées dansle canton de Genève, qui ont été exclusivement menées par des personnes d’ascendance africaine de la diaspora, après des appels publics au changement en 2020. À l’issue des consultations 12 mesures ont été formulées pour orienter les activités de lutte contre le racisme du canton.

  7. En dépit des mesures positives énoncées ci-dessus, le Groupe de travail est préoccupé par la prévalence de la discrimination raciale et parla situation relative aux droits humains des personnes d’ascendance africaine en Suisse.

  8. Bien que la Suisse ait ratifié la plupart des instruments relatifs aux droits humains dans le domaine de la lutte contre le racisme et réaffirmé ses obligations conventionnelles, cela semble souvent ne pas être reconnu au niveau cantonal, et les représentants fédéraux ont évoqué le manque de supervision ou d’autorité vis-à-vis des responsabilités des cantons, notamment dans l’éducation, la santé et la police. L’écart entre la responsabilité fédérale eu égard aux droits humains et l’action des cantons a été pointé du doigt comme entrave structurelle aux efforts menés pourla justice raciale, même si certaines priorités de l’État – telles que la formation des policiers et le droit d’asile –sont fédéralisées. Il est possible de faire respecter les droits humains même dans un système décentralisé etfédéraliste.

  9. Les personnes d’ascendance africaine se sont pas toujours traitées différemment après l’obtention de la nationalité suisse. Au contraire, les personnes d’ascendance africaine nées suisses ou naturalisées sont perçues comme des migrants, des étrangers et/ou des réfugiés – comme l’Autre, en somme.

  10. Le Groupe de travail a observé que le cadre normatif et institutionnel pour remédier aux actes et aux omissions racialisés étaitinadapté. Beaucoup des mécanismes existants ne disposent pas de mandat pour prendre des décisions ou des recommandations contraignantes, et pour beaucoup lestribunaux ne constituent pas un recours efficace.

  11. Il y a un manque de reconnaissance des liens entre la Suisse et le colonialisme, le commerce et la traite des Africains réduits en esclavage, et de l’impact de ce passé sur les manifestations contemporaines de la discrimination raciale. La richesse de la Suisse aujourd’hui est directement liée à l’héritage de l’esclavage. Les banques suisses ont grandementinvesti dans le commerce des personnes réduites en esclavage et dans les institutions de l’esclavage, ainsi que dans le système de l’apartheid. L’industrie textile, l’industrie du chocolat et du café, ont bénéficiéde l’esclavage et du colonialisme.

  12. La Suisse ne dispose pas de données ventilées par appartenance raciale. Cela entrave considérablement sa capacité à identifier et remédier aux graves discriminations et injustices raciales dans l’éducation, la santé, l’emploi, le logement, la détention, l’administration de la justice, entre autres.

  13. Pour reprendre les mots d’une jeune personne d’ascendance africaine adressés au Groupe de travail, « grandir dans un pays où vos pairs n’occupent aucune position vous marque ». À quelques exceptions près, les personnes d’ascendance africaine sont généralement sousreprésentées même au sein des mécanismes mis en place pour combattre le racisme dont elles sont victimes. Certaines personnes d’ascendance africaine qui parviennent à se hisser aux plus hauts échelons de la société suisse continuent de souffrir du racisme, ce qui pousse certaines à prendre leurs distances.

  14. Le Groupe de travail s’est vu relaté des cas choquants de brutalité policière et d’impunité à la suite de bavures policières, couvrant plusieurs décennies. Des appels à réformer la police, lancés en 2020, ne semblent pas avoir eu un impact sur les pratiques des policiers, à l’exception de Genève où des consultations importantes se sont tenues.

  15. L’action de la police, notamment dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants –y-compris les interpellations et les fouilles sur la voie publique –a un impact disproportionné sur les jeunes hommes d’ascendance africaine. Le profilage racial et les contrôles de police visant les jeunes noirs les humilient, les criminalisent et les stigmatisent. Des personnes d’ascendance africaine ont relaté des interpellations au cours desquelles elles ont dû se déshabiller, se soumettre à des fouilles et à des examens des cavités corporelles en toute impunité. Les forces de police, dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants, ciblent principalement les hommes noirs, notamment les jeunes. Ces opérations policières fortement médiatisées incluent des arrestations brutales, le profilage racial, l’humiliation et le traitement dégradant, et renforcent les stéréotypes raciaux négatifs dans l’espace public.

  16. 16. Le Groupe de travail s’est entretenu avec la famille de Nzoy Roger Wilhelm, tué par la police sur un quai de la gare de Morges en 2021. Le groupe a également examiné de près les cas de Mike Ben Peter, Lamin Fatty, Herve Mandundu, Mohammed Wa Baile et Omar Mussa Ali. Certaines de ces affairesmettent en lumière les conséquences tragiques du profilage racial. À chaque fois, les victimes et leurs familles peinent étrangement à avoir accès à la justice. Les familles ont dû payer elles-mêmeslesservices d’avocats et d’experts pour démontrer leur« relation étroite» avec la victime, afin d’obtenir réparation, et sont confrontées à l’argument de la légitime défensesystématiquement invoqué par la police.

  17. Le Groupe de travail a été informé qu’il était peu avisé pour les personnes d’ascendance africaine de porter plainte en cas de racisme. Il est fréquent qu’il y ait des représailles ou que les policiers déposent plaintes à leur tour contre les victimes, pour lesquelles il est rare d’obtenir gain de cause.

  18. La police du canton de Vaud, questionnant la validité des accusations de profilage racial et de bavure policière, a suggéré que les citoyens devraient filmer les policiers en cas de bavures et faire des signalements. Mais le Groupe de travail a été informé directement d’arrestations et de poursuites contre des personnes ayant filmé la police. Ces personnes ont été visées par des amendes et des peines de prison avec sursis dans ce canton.

  19. Le Groupe de travail a observé qu’il y a un manque de dialogue sur le racisme systémique, l’influence des stéréotypes raciaux négatifs et leur impact sur les décisions prises par la police, le ministère public ou les tribunaux. Cela génère une culture du déni, qui entrave tout reddition de compte ou possibilité de réforme.

  20. Il n'y a pas d'indépendance suffisante dans les enquêtes et les poursuites concernant les comportements répréhensibles de la police, la brutalité policière et les meurtres aux mains de la police. Dans la pratique, la proximité entrela police, le ministère public et le pouvoir judiciaire, ainsi que l'exercice d’un pouvoir discrétionnaire par les procureurs, font obstacle à une enquête indépendante sur la conduite de la police et à la séparation des rôles, et ont un impact sur la probabilité d'un procès et d'un traitement équitables. Le canton de Genève dispose d'une division des affaires internes où les fautes commises par la police sont examinées par la police elle-même, même si la division fait rapport au procureur en chef du canton.

  21. Le cas de Brian Keller est celui d'une enfance volée et d'une identité d'adulte superposée avec de fortes connotations raciales. Le Groupe de travail a rencontré Brian Keller, en personne, à l'établissement correctionnel de Pöschwies à Zurich. La discrimination et l'injustice raciales sont évidentes à tous les stades de cette affaire, y compris le déni de l'enfance, de l'accès à la famille et à l'éducation, pourtantfarouchement protégés pour les enfants blancs suisses par la loi, la politique et les valeurs. L'aggravation des peines et les sanctions extrêmes, y compris les années d'isolement cellulaire, suggèrent également une forte prévalence des stéréotypes raciaux négatifs et des croyances racialisées concernant les hommes noirs, même lorsqu'ils sont enfants. Pour ces raisons et bien d'autres encore, la situation de Brian Keller est un exemple frappant de racisme systémique en Suisse. Compte tenu des préoccupations exprimées par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, le Groupe de travail d'experts sur les personnes d'ascendance africaine prend note de l’annulation de la décision cantonale pour garantir des conditions humaines de détention.

  22. Plusieurs détenus ont relaté des faits de harcèlement verbal, de violence, d’actes de provocation de la part du personnel de la prison, notamment des insultes racistes et des préjugés raciaux, en toute impunité.

  23. Le Groupe de travail a été informé des conséquences diverses de la discrimination raciale sur le droit à la santé. Les facultés physiques et mentales des personnes d’ascendanceafricaine sont mises à rude épreuve en raison des efforts supplémentaires qu’elles doivent déployer au quotidien. Leurmobilité socio-économique est entravée, ce qui les empêchent également d’avoir accès à l’assurance maladie et aux soins. Les professionnels de santé, dans le cadre de leur formation, n’étudient pas les caractéristiques des personnes d’ascendance africaine. Ils ne sont donc pas à même d’interpréter les symptômes des maladies sur les corps de personnes d’origine africaine. Les diagnostiques erronés ne sont pas rares. Les maladies dont souffrent les personnes d’ascendance africaine telles que la dépranocytose, la pré-éclampsie etles fibromes ne bénéficient pas d’une attention suffisante au sein du système de soins. Le recours aux interprètes est trop limité, et il nous a été rapporté que les médecins et les patients devaient parfois communiquer avec les mains. Les préjugésraciaux auraient une influence sur le traitement que reçoiventles personnes d’ascendance africaine dans le secteur de la santé.

  24. Dans le secteur des soins, l’incapacité des médecins à s’interroger sur leurs propres préjugés raciaux peut mettre en danger la santé et la vie. Beaucoup de personnes d’ascendance africaine n’ont pas été prises au sérieux ou ont été négligées par le personnel médical lorsqu’elles souffraient, étaient malades ou présentaient des symptômes. Les femmes d’ascendance africaine souffrant de fibromes, une maladie fréquente chez les femmes noires, ont relaté qu’en arrivant à l’hôpital, leur souffrance insoutenableavait été minimisée jusqu’au moment où il devenait impératif d’opérer. Les femmes d’ascendance africaine recevraient moins de soins lors de l’accouchement en raison de l’idée reçue selon laquelle elles seraient faites pour procréer et supporteraient davantage la douleur, et qu’elles auraient tendance à exagérer la souffrance. Dans plusieurs cantons, des femmes d’ascendance africaine expliquent avoir été diagnostiquées comme souffrant du « syndrome méditerranéen » - en d’autres termes, qu’elles en faisaient trop. Il y a un manque d’attention apporté aux maladies dont souffrent les personnes africaines concernant la grossesse et la santé maternelle. Les femmes d’ascendance africaine ont rapporté avoir été mal diagnostiquées, avoir subi des procédures invasivessans notification préalable ni consentement, et elles constatent l’incapacité des médecins à dépister la pré-éclampsie, qui peut mener à la perte du bébé. Même si les médecins n’ont pas manifesté leur intérêt ou leur expertise concernant les aspects raciaux de la santé maternelle, des comportements inappropriés, notamment la violence inter-sectionnelle, se produiraient régulièrement. Les jeunes LGBTI d’ascendance africaine affirment aussi avoir du mal à accéder à des soins adaptés à leurs besoins. Une personne LGBTI d’ascendance africaine a expliqué avoir fait l’objet de questionsracialisées inappropriées de la part de sept médecins différents chargés du suivi de sa grossesse.

  25. Le stress chronique lié au racisme était un problème important chez les personnes d'ascendance africaine, parfois exacerbé par les interventions des professionnels de santé. Par exemple, une femme qui cherchait de l'aide pour faire face au stress chronique causé par un harcèlement racial de longue durée sur son lieu de travail s'est vue conseiller par son psychologue de changer de bijoux, de passerde l'or à l'argent, afin de mieux tenir compte de sa couleur de peau, et de se demander si sa tenue vestimentaire au travail était appropriée.

  26. Le Groupe de travail a entendu plusieurs rapports sur l'intervention des services de protection de l'enfance et le retrait d'enfants à leurs parents, et le recours à des arguments racialisés pour justifier ces décisions extraordinaires. Dans certains cas, des travailleurs sociaux ou des tuteurs ont été nommés et ont pris des décisions sans s’entretenir avec les enfants, ont remis en question la provenance des vêtements et des biens des parents, et ont interprété les difficultés scolaires comme des échecs parentaux malgré l'absence de communication entre les écoles etles parents.

  27. Presque toutes les personnes d'ascendance africaine que le Groupe de travail a rencontrées ont fait état de discrimination raciale dans l'éducation. Parmi les manifestations de cette discrimination, on peut citer les insultes, le harcèlement et les provocations à caractère racial ; le fait de pointer du doigt les enfants d'ascendance africaine qui réagissent au racisme plutôt que ceux qui commettent des actes racistes ; les mesures punitives disproportionnées et la prise de décisions à caractère racial dans les écoles et les universités ; la baisse des notes des élèves d'ascendance africaine ; l'utilisation d'illustrations qui reflètent une hiérarchisation raciale ; lesrécitsinexacts ou faux de l'histoire de l'esclavage des Africains dans les programmes d'enseignement et la discrimination dans la pratique clinique, entre autres.

  28. Les auteurs d'origine africaine sont largement absents des programmes d'études suisse. Les étudiants rapportent avoir été critiqués et pénalisés pour s'être largement appuyés sur des auteurs d'ascendance africaine, même dans le cadre d’études africaines, et font état du fait que citer des auteurs blancs est censé donner une mesure de crédibilité raciale.

  29. Les parents d'enfants d'origine africaine ont rapporté des comportements et des décisions racistes à l'égard de leurs enfants. Lorsqu'ils font part de leurs préoccupations, les parents sont souvent exclus des établissementsscolaires. Les élèves d'origine africaine auraient été orientés vers des classes spécialisées. Des personnes d'origine africaine se seraient vues dire que les mathématiques n’étaient pas faites pour elles, d’autres ont été détournées des parcours scientifiques, ou ont faitl’objet de stéréotypes raciaux néfastes et de suppositions sur leurs capacités. Un enfant ambidextre a ainsi été obligé de consulter un psychologue pendant des années.

  30. Les exigences strictes en matière d'intégration peuvent exacerberla précarité. Par exemple, les personnes hésitent à demander une aide sociale par crainte que leur permis ne soit pas renouvelé. Dans certains cas, les autorités ont exprimé leur souhait que l'intégration ait un impact sur les croyances religieuses privées. Les migrants d'origine africaine sont confrontés à une discrimination constante en matière d'accès à l'emploi formel et d'intégration professionnelle.

  31. Les personnes d'ascendance africaine ont fait état d'une discrimination fondée sur la texture des cheveux, qui vise à contrôlerl'identité noire et maintenirla suprématie blanche. Les codes vestimentaires formels et informels et les règles en vigueurinterdisant les coiffures naturelles ont été utilisés pour justifier l'exclusion des personnes d'ascendance africaine de l'emploi.

  32. Les personnes d'ascendance africaine éprouvent les plus grandes difficultés à louerou acheter un logement. Les représentants du gouvernement ont reconnu leur incapacité à garantir que les propriétaires ne se rendent pas coupable de discrimination, invoquant le fait que ces derniers assument le risque et ont donc le droit de choisir leurs locataires.

  33. Le Groupe de travail a entendu les témoignages du calvaire des demandeurs d'asile érythréens, déboutés du droit d'asile et bloqués pendant des années dans la précarité. Les centres surpeuplés sont situés dans des régions isolées et éloignées, avec des obstacles aux soins de santé et à l'emploi. Ce traitement défavorable visant à inciter les personnes à quitter le territoire suisse génère du désespoir et aggrave la souffrance des jeunes enfants dont les parents sont dans cette situation.

  34. L'utilisation de discours de haine racialedans la rhétorique politique est une forme particulièrement toxique de racisme. La société civile a fourni des exemples, notamment la campagne politique du «mouton » blanc et noir (« Schäfchenplakat ») menée par l'Union démocratique du Centre en 2007. De nombreuses campagnes promeuvent le durcissement de la politique migratoire et ont recours à des images ou à des propos dégradants à l'encontre des personnes noires en Suisse.

  35. L'héritage de la hiérarchie raciale légalisée et de « l’humour» raciste crée un environnement propice au harcèlement et à la violence dont sont victimes de nombreuses personnes d'origine africaine. Les personnes d'ascendance africaine ont rapporté que la police sexualisait les individus lors des fouilles et de l’examen des parties génitales, et que les enseignants organisaient des jeux à l’école tels que « qui a peur de l'homme noir ? ».

  36. Les stéréotypes raciaux néfastes ont été renforcés par la façon dont lesmédias couvrent certainssujets et choisissent certaines photos qui façonnent et perpétuent l'imaginaire du public à l'égard des personnes d'ascendance africaine. Bien que le gouvernement ait affirmé avoir pris un nouvel engagement envers les personnes d'ascendance africaine, les stéréotypes raciaux négatifs continuent d'être véhiculés par les médias. RECOMMENDATIONS

  37. Le Groupe de travail recommande les mesures et approches suivantes pour aider la Suisse dans ses efforts de lutte contre toutes les formes de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d'intolérance qui y est associée :

  38. Le gouvernement et les autorités devraient mettre en œuvre les engagements internationaux de la Suisse et les recommandations spécifiques, y compris celles du Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale, du Rapport périodique universel et d'autres recommandations formulées par des institutions et des experts internationaux et nationaux pour lutter contre la discrimination raciale à laquelle sont confrontées les personnes d'ascendance africaine.

  39. Encourager le gouvernement à renforcer le mandat de l'institution nationale des droits de l'homme, y compris son mandat pourrecevoir et traiter les plaintes individuelles liées à des cas de discrimination raciale, et la doter desressources humaines et financières suffisantes pour s'acquitter de ses responsabilités conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme (les Principes de Paris). Cela inclut des mesures visant à assurer une coordination efficace entre la Commission fédérale contre le racisme et la nouvelle Institution nationale des droits de l'homme.

  40. ll est urgent de démanteler le racisme systémique, en commençant par un audit national sur l'équité raciale dans toutes les institutions, centré sur les expériences des personnes d'ascendance africaine, afin de définir le problème et de développer de nouvelles approches et solutions.

  41. Revoir les politiques en matière de données ventilées par race, car la Suisse risque de ne pas atteindre ses objectifs en matière de droits de l'homme sans données ventilées par race, sur la base du principe d'auto-identification, afin d’identifierles principales préoccupations actuelles, analyserles progrès accomplis dans le temps, remédier aux disparités raciales et obtenir réparation.

  42. Engager du personnel ayant une expertise spécifique dans la reconnaissance et la lutte contre le racisme anti-noirs dans les contextes de justice pénale pour réexaminer immédiatement l’utilisation de l'isolement cellulaire, du profilage racial et de l'administration de la justice pour les jeunes d'origine africaine.

  43. La Suisse devrait mandaterun examen indépendant et parallèle de tous les cas d'enfants en situation de détention d'adultes ou de quasi-adultes, en mettant l'accent sur le rôle que la race a pu jouer dans l'atteinte aux droits des enfants en vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant.

  44. La Suisse devrait renforcer l’indépendance et le sérieux des enquêtes et poursuites lancés à la suite de fautes commises par la police et les agents publics. Un procureur indépendant devrait être nommé d'office pour les fautes commises par la police. Les policiers accusés de violence envers des membres du public devraient être immédiatement réaffectés jusqu'à ce qu'une décision finale concernant l'affaire soit prise.

  45. Mettre fin à l'impunité pour les violences policières contre les personnes d'ascendance africaine et favoriser l'accès à la justice pour les victimes et leurs familles. Mettre en pl ace un mécanisme indépendant chargé d'enquêter sur tous les décès antérieurs survenus lors d'opérations de police, les décès en garde à vue et dans les centres d'asile, les fautes de la police, y compris les actes et omissions à caractère raciste. Il faut tenir les auteurs responsables et accorder réparation aux victimes. Les cantons devraient également envisager l'enregistrement de données sur les cas de profilage racial, les contrôles et les fouilles, toutes les formes de violence policière et de racisme. Un mécanisme de plainte indépendant doté d'une autorité de contrôle et disciplinaire est nécessaire pour la police dans chaque canton.

  46. Interdire par voie législative le profilage racial.

  47. Créer des unités d'intégrité des condamnations au sein des bureaux du procureur général, dans le but spécifique d'examiner et de garantir que les interpellations, les arrestations, les détentions, les condamnations et les peines ne reposent pas sur des décisions racialisées et sur des preuves inadéquates, et pour garantir le respect des droits de toutes les personnes soumises à une surveillance pénale.

  48. Nommerun médiateur au niveau fédéral et dans tous les cantons.

  49. Le personnel médical devrait recevoir des conseils spécifiques sur le racisme systémique dans la pratique de la médecine, y compris des recherches montrant comment les décisions des médecins peuvent refléter des préjugés anti-noirs, et des mécanismes pour affronter et atténuer leurs propres préjugés, ainsi qu'une formation sur les différences raciales en matière de santé, de risque et de manifestation des symptômes. Il est nécessaire de diversifier les modèles de patientèle afin d'habituer les praticiens de la médecine aux patients d'ascendance africaine.

  50. Dans le domaine de l'éducation, il est urgent d'aborder le rôle des enseignants, de l’administration des établissements, des responsables de l'éducation et des élèves dans le racisme systémique qui semble omniprésent à tous les niveaux de l'éducation. Des interventions adaptées selon l’âge des élèves sont nécessaires pour que cessent la culture du déni et le rejet des responsabilités.

  51. Les programmes scolaires doivent être révisés pour inclure les contributions, l'histoire et la production culturelle et de connaissances des personnes d'ascendance africaine. S’inspirer de projets tels que celui visant à accroitre le nombre d'auteurs noirs dans les bibliothèques du canton de Vaud, et utiliser le livre pour enfants intitulé « Ticheri a les cheveux crépus », comme recommandé dans les crèches de la ville de Genève.

  52. Le gouvernement devrait adopter des mesures pour augmenter le nombre d'enseignants et d'universitaires d'origine africaine dans les établissements et garantir la liberté académique requise pour assurer une diversité de perspectives.

  53. Ériger l'intégration en condition préalable à la régularisation du séjour d'une personne en Suisse devrait faire l'objet d'une interprétation subjective afin d'éviter de porter préjudice aux personnes qui ont besoin de protection, telles que les résidents légaux de longue durée, les personnes et les familles ayant des enfants à charge, les réfugiés et les demandeurs d'asile.

  54. En ce qui concerne le placement d’un enfant, des politiques claires pour un examen immédiat par un tribunal judiciaire des décisions de placement avec la possibilité d'être entendu doivent être publiques et disponibles dans toutes les langues. L'État a également l'obligation d’énoncer clairement les mesures que la famille doit prendre pour permettre le retour de l'enfant placé le plus rapidement possible en faisant toujours primer son intérêt supérieur.

  55. S'attaquer de toute urgence aux conditions de vie dans les centres où les demandeurs d'asile doivent séjourner s'ils n'ont pas de permis de séjour en Suisse et garantir les services essentiels et l'accès à l'assistance médicale.

  56. Fournir un financement pluriannuel aux associations et aux projets des personnes d'origine africaine. Cela viendrait compléter d'autres mesures visant à établir des ponts avec ces organisations communautaires, à faciliter la transmission des messages du gouvernement et à renforcer le dialogue constructif.

  57. Le lancement de la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine doit être complété par davantage de programmes et d'activités dans tous les cantons.

  58. Après avoir examiné les recommandations des consultations de Genève de 2020-21 avec les personnes d'ascendance africaine, le Groupe de travail encourage le gouvernement à mettre pleinement en œuvre les 12 propositions à Genève et ailleurs, le cas échéant, et à engager des consultations similaires dans d'autres cantons.

  59. Le Groupe de travail tient à réitérer sa satisfaction face à la volonté du Gouvernement de s'engager dans le dialogue, la coopération et l'action pour lutter contre la discrimination raciale. Nous espérons que notre rapport soutiendra le gouvernement dans ce processus et nous exprimons notre volonté de l'aider dans cette importante mission.